Je souhaite parler aujourd'hui de mon expérience, de mon vécu afin que d'autres puissent peut être s'y retrouver, s'y reconnaitre. Le rapport au travail est en lien avec notre subjectivité, avec notre histoire, nos aspirations, mais aussi avec la société, son évolution. Parfois, malgré le fait qu'on aime son métier, on peut se perdre...
Qu'est ce qui nous anime ? Nous motive ?
J'ai su très tôt que je voulais être psychologue, j'étais au lycée et j'ai découvert Freud dans les cours de philosophie, ça m'a conforté dans mon choix, j'ai trouvé ça passionnant et je cherchais un métier passionnant. Qu'est ce que je veux dans la vie ? Quelles sont mes motivations profondes ? Questions auxquelles il est difficile de répondre, surtout quand on ne sait pas encore réellement qui on est. Mais sentir qu'on est au bon endroit, qu'on s'approche de ce qui compte, nous permet d'avancer même si on n'est pas encore en mesure de répondre aux questions. Les débouchés ou plutôt le manque de débouchés ne m'apparaissait pas comme un frein, j'étais déterminée. J'ai débuté en gérontologie alors que j'étais persuadée que je ne travaillerais jamais en EHPAD, "ce n'était pas pour moi". Et j'y ai finalement passé 15 années. J'ai pu découvrir différents fonctionnements à travers mes diverses expériences. Quand j'ai commencé à travailler, j'avais le sentiment de ne pas réellement "travailler" car j'aimais ce que je faisais, je pouvais enfin mettre en pratique ce que j'avais appris. Même si finalement il y a quand même un écart entre ce qu'on apprend à l'université et le terrain! Il s'agit d'un autre débat, mais l'université nous offre des modes de pensée, de réflexion, mais nous outille insuffisamment face à la rencontre des patients, aux problématiques institutionnelles. Je fais partie des professionnels qui pensent qu'une année de supervision serait nécessaire ou en tous cas, une évolution de la formation avec un versant plus pratique. Je ferme cette parenthèse militante :)
Faire sa place...
Un an après ma prise de poste, après ce que beaucoup décrivent comme la lune de miel, vient la rencontre avec le Réel et les premiers désenchantements, les doutes, les remises en question... Ce métier peut aussi être source de souffrance, de tensions, de stress. Il faut se battre pour être reconnue, et oui certains collègues ou certaines directions ne sont pas toujours au clair sur la fonction du psychologue, ou instrumentalisent, invisibilisent, dénigrent le travail psychique, il m'a donc fallu expliquer, revendiquer, montrer, sachant que cette reconnaissance est aussi en lien avec notre représentation de notre place et fonction. Plus on se sent légitime, moins on a besoin de faire reconnaître sa place. Ma vision de mon rôle et de ma fonction a beaucoup évolué tout au long de ma carrière. Je pense que je ne percevais pas toujours l'impact de ma fonction ou je me mettais aussi trop de pression avec une vision trop idéalisée. Il faut donc déconstruire pour reconstruire une vision plus réaliste, et une image susceptible d'évoluer, qui ne soit pas figée.
Faire face à la souffrance
Etre face à la souffrance en permanence n'est pas sans conséquence. On parle aujourd'hui de fatigue compassionnelle, de traumatisme vicariant, de burn out. On rencontre des histoires, complexes, douloureuses, qui peuvent parfois faire écho à nos propres douleurs. On fait face à des systèmes défaillants, à de la précarité, de la fragilité, à des collègues qui souffrent... J'ai trouvé très tôt des espaces me permettant de réfléchir à ma pratique (groupe d'intervision, supervision, échanges entre collègues...). Je pensais parvenir à me protéger, à avoir une distance suffisante face à la mort, la maladie, la souffrance, mais je ne voyais pas qu'elle m'ébranlait progressivement. Les dysfonctionnements institutionnels, les événements de vie personnels, les conflits de valeur ont rendu perméables cette confrontation à la souffrance.
Les risques en EHPAD
Le travail en EHPAD est à la fois passionnant, il y a tellement de choses à faire, mais également source d'épuisement avec des moyens insuffisants. Le glissement de tâche est permanant. Le psychologue a des moyens limités et il évolue dans un espace contraint. Les demandes sont de plus en plus importantes, avec des injonctions contradictoires. Il faut être là, à la fois pour les résidents, mais aussi les familles et les collègues. Il faut tenir le rythme des Projets d'Accompagnement Personnalisés avec des temps de réunion restreints, le turn over des équipes, leur épuisement. Il faut innover, développer de nouvelles approches et rendre des comptes régulièrement. L'évaluation HAS et le PATHOS qui sont des temps forts pour montrer le travail fourni, devient trop souvent, une vitrine, un jeu malsain visant à donner une image déformée pour montrer qu'on fait "bien" ou qu'il nous faut plus de moyens... Et là encore, le risque est grand de finir par se trouver en décalage avec ce pourquoi on est là, ses valeurs. La crise COVID a donné, à certains, l'illusion qu'on pouvait décider à la place des résidents, que certaines injonctions étaient plus importantes que le libre arbitre des personnes âgées. Les soignants, déjà peu nombreux se sont encore plus raréfiés. On a cru à une prise de conscience des pouvoirs publics, mais cela n'a pas duré... Je suis ravie de voir que certains luttent encore, voient du sens dans ce combat, j'y ai personnellement renoncé pour mon bien être, mais je continue de militer différemment (à travers les supervisions, les cours à l'université notamment).
Conflits de valeurs
Ce qui pour moi a été le déclencheur de départ ou de souffrance au travail, a été le plus souvent le conflit de valeurs, des incompatibilités, la perte de sens. La confrontation à la rentabilité dans le sanitaire et le médico social a été l'un de mes premiers conflits de valeur. Sélectionner des patients en fonction de bénéfices financiers et non en fonction des bénéfices pour la personne est en contradiction avec ma vision de la prise en soin. La maltraitance institutionnelle est certainement le versant le plus difficile à accepter. L'institution est par définition dysfonctionnelle, il n'y a pas d'institution idéale, mais cautionner l'absence de liberté, de choix, d'expression des personnes accueillies est inconcevable pour moi. On est tous potentiellement maltraitants, il faut se questionner et se réajuster en permanence. Il n'est pas toujours simple d'être témoin de maltraitance de la part de collègues, mais cela nécessite de travailler sa posture, d'accompagner et de travailler en équipe. Mais la maltraitance qui m'a pesé le plus est celle organisée par des directions, par un système qui a perdu de vue l'être humain. J'ai bien évidemment eu des désaccords avec mes différentes hiérarchies, et je trouve cela plutôt sain, mais dans la mesure où il y a du respect et de la prise en compte des différentes positions. Quand les questionnements ne sont même plus possibles au sein d'une équipe de direction, le travail perd de son sens.
Les ressources
Dans les périodes difficiles, j'ai pu me recentrer sur ce qui faisait sens pour moi, le cœur de mon métier, le bien être du patient/résident. Ce qui m'a aidé également, c'est d'avoir des collègues, des membres de l'équipe avec qui partager cette vision commune de l'accompagnement, des valeurs partagées. Bien évidement, l'entourage personnel, tout ce qui participe à nous nourrir, à nous faire avancer dans la vie aide également face aux difficultés de travail. Face à l'épuisement, la thérapie personnelle a également été un levier important pour moi. Identifier mes limites a été aussi un travail bénéfique: ce que je peux accepter, ce que je ne peux pas accepter/tolérer, ce qui est essentiel pour moi, les combats nécessaires et ce sur quoi il faut lâcher pour ne pas perdre son énergie.
Se connecter à soi, à ses valeurs, à ce qui fait sens est essentiel. S'entourer de personnes ressources, avec qui pouvoir avancer (et pas besoin d'en avoir beaucoup!) est aussi un point central. Se former, se renouveler, diversifier sa pratique ont été des moteurs pour moi dans les moments compliqués et le sont toujours. Et vous, qu'est ce qui vous aide ?